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Hugues Vincent, une (bien trop courte) vie en violoncelle

Où mieux que sur le site de l’Association Française du Violoncelle pouvait-on rendre hommage à quelqu’un pour qui cet instrument était aussi fondamental ?
Hugues nous a quittés au début de cette année, le 9 janvier. Le 22, il y a eu une cérémonie au crématorium du Père Lachaise qui a été tellement à son image que j’ai fait le choix d’en reprendre ici le déroulé et les interventions.
Pour accueillir les nombreux parents, proches et collègues d’Hugues, il y avait son fidèle ami Jean-Philippe Feiss, violoncelliste aussi, et avec un profil musical assez proche. S’ils ont finalement assez peu joué ensemble, ils ont beaucoup échangé sur toutes ces musiques qu’ils aimaient, et se sont souvent remplacés mutuellement. Ce jour-là, c’est avec son seul violoncelle que Jean-Philippe a rendu hommage à son ami, en jouant, intégralement, la Première Suite pour violoncelle seul de Bach, cette musique qui avait tellement compté pour Hugues.
Puis il y eut la lecture d’un texte qui a retracé les grandes étapes de sa vie extraordinairement accomplie de musicien.

texte écrit par la famille, lu par la pasteure Agnès Lefranc :

Nous avons renoncé à faire une biographie de Hugues, trouvant que l’essentiel de sa vie et de ses motivations étaient ailleurs. Nous avons plutôt essayé de retracer, à travers ses rencontres avec la et les musiques, son évolution vers le très bon musicien qu’il était.
Sa toute première rencontre avec la musique, il l’a faite vers quatre ans en fréquentant avec enthousiasme un jardin musical Willemse. Plus tard, chez un ami de son père, il a entendu pour la première fois les Suites de Bach pour violoncelle seul. Ce fut un véritable coup de foudre. À partir de ce moment-là, il n’a eu de cesse que nous l’inscrivions dans un cours de violoncelle. Une fois inscrit, il a fait une des rencontres majeures de son existence, en la personne de Denise Chéret, sa professeure de violoncelle pendant plus de quinze ans.
Au moment du choix des études, la musicologie s’est imposée à lui et l’a mené à un CAPES de professeur de musique. Il a très peu exercé, préférant s’inscrire à l’ÉDIM (École des musiques actuelles) pour une formation en jazz et musiques improvisées. Il avait ainsi trouvé sa voie pour les années suivantes. Parallèlement, avec des copains, il fonde un groupe de ska/rock, Le Pélican Frisé, dans lequel il s’implique énormément, à la fois dans l’organisation de concerts et en composant. Son frère rejoint le groupe quelque temps plus tard.
Son premier voyage au Japon fut une nouvelle étape importante dans son parcours. Il créa beaucoup de liens avec des musiciens japonais qui ont perduré tout au long de sa vie. Une bonne quinzaine d’autres voyages ont fait de lui un être à cheval sur deux civilisations. Son mariage il y a dix ans avec Kumi Iwase a bien confirmé cette double appartenance, Kumi, une excellente musicienne avec laquelle il a souvent partagé la scène. Compositrice, elle a beaucoup écrit pour Hugues, et il interprétait ses compositions avec bonheur. La musique contemporaine était devenue un élément essentiel de sa vie. Depuis huit ans, il faisait partie d’un trio à Taïwan, Wooonta. C’est avec ce groupe qu’il a fait sa dernière tournée en octobre dernier.

À la suite de cette lecture, la pasteure a tenu à apporter son témoignage personnel.

texte de la pasteure Agnès Lefranc :

Je connais Hugues par sa maman, qui fait partie de la communauté protestante d’Orléans, dont je suis la pasteure. C’est comme cela que j’ai eu la chance de le rencontrer, lorsque de passage à Orléans, il venait au culte avec Ursula, toujours souriant, toujours heureux, à la fin, de ce qu’il avait entendu, comme s’il en avait été nourri. Hughes était un « chercheur de sens », il se posait beaucoup de questions, et avait demandé à me rencontrer pour en discuter avec moi. Il n’était pas sûr de ce qu’il croyait, ni de ce qui fondait sa vie, mais plutôt « en chemin », et n’est-ce pas, au fond, la définition même du disciple que d’être « en chemin » ? Les religions ne deviennent-elles pas dangereuses précisément quand elles s’arrêtent pour camper sur leurs certitudes et les asséner autour d’elles ?
C’est aussi par Ursula que nous avons eu la chance de recevoir Hugues et Kumi pour un concert au temple d’Orléans. Avec Hugues, je partageais le fait d’avoir été, moi-même, violoncelliste de métier avant de devenir pasteure. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à être à la fois musicienne et pasteure : Dietrich Bonhoeffer, le célèbre pasteur et théologien allemand qui combattit le nazisme et le paya de sa vie, était un pianiste de talent. Lorsqu’il était en prison, dans un échange de lettres avec son ami Eberhard Bethge, il prit pour parler de Dieu une image musicale que je trouve très belle, et que je voudrais vous livrer : « Dieu, l’Éternel, veut être aimé de tout notre cœur, non pas au détriment de l’amour terrestre ou pour le diminuer, mais comme une sorte de cantus firmus sur lequel les autres voix de la vie résonnent en contrepoint. L’un de ces thèmes contrapuntiques, qui gardent leur pleine indépendance tout en étant liés au cantus firmus, est l’amour terrestre. Lorsque le cantus firmus est clair et distinct, le contrepoint peut se développer aussi puissamment qu’il le souhaite. » Dieu, non comme une voix principale qui ne cherche qu’à être mise en valeur, mais comme le cantus firmus qui sert de soubassement à la polyphonie, et qui permet aux différentes voix du contrepoint de nos vies de s’épanouir harmonieusement… Hugues, je le pense, aurait aimé cette image, et peut-être en a-t-il vécu quelque chose sans toujours en être conscient.
Je voudrais terminer en citant pour vous qui êtes là aujourd’hui un verset d’un psaume que j’aime beaucoup : « Le Seigneur souffre en voyant mourir ses amis fidèles » (Ps 116:15). Dieu ne décide pas, du haut du ciel, pour une raison qui nous échappe, de guérir celui-ci et de faire mourir tel autre. Il n’est pas ce grand horloger qui statuerait sur notre vie sans que nous ayons voie au chapitre. Non, il est « Dieu avec nous », celui qui pleure avec ceux qui pleurent, celui qui souffre avec ceux qui souffrent. Chère Ursula, chère Kumi, cher Marc, chère Laurence, et vous tous qui pleurez Hugues, je le crois, ce Dieu-là se tient aujourd’hui à vos côtés, et porte avec vous votre peine.

Le sport – Le théâtre – Les musiques

Si la vie d’Hugues a fini par être presque exclusivement tournée vers la musique, quand il était enfant il faisait beaucoup de sport, et, là aussi, faisait preuve de goûts bien à lui : rugby et boxe française. Un sport d’équipe qui est sans doute celui qui inculque le mieux l’esprit collectif. Et un art martial idéal pour tonifier, tout en maîtrise, chaque partie du corps. Autant de qualités toutes indiquées pour jouer du violoncelle avec les copains…
Hugues a rencontré la musique dès son plus jeune âge, et il a immédiatement été fasciné. Il faut dire aussi qu’il était scolarisé à “Perceval”, cette école Steiner de Chatou par laquelle sont passés beaucoup de futurs musiciens professionnels. La musique y avait une place particulièrement importante, pour l’essentiel sous la forme d’orchestres de différentes tailles. Cette attirance très forte d’Hugues pour la musique a donc été liée très tôt aussi à la dimension de partage.
Dans cette école, il a également découvert le théâtre (y compris en anglais et en allemand). Comme en tout, il s’y est passionnément investi. Bien des années après, l’un des enseignants de cette école, Jean-Pierre Ablard, s’est souvenu de certains faits d’armes d’Hugues sur scène. Ou sur scène improvisée, comme la fois où, lors d’un voyage de classe, ils passaient la nuit sur une île minuscule et où Hugues a convaincu tous ses camarades de donner une représentation du Malade imaginaire, qu’ils montaient alors, dans laquelle il tenait le rôle principal, sans décor autre que la mer, et avec pour seul public leurs professeurs, les mouettes et les goélands ! Par la suite, ses choix musicaux auront souvent une indéniable dimension théâtrale. Il aimait faire des surprises au public, le faire rire, le prendre à témoin.
Une fois la volonté d’apprendre le violoncelle fermement établie, c’est parce que ses parents n’ont pas voulu lui faire subir les deux ou trois années de solfège (on ne disait pas encore « formation musicale »), préalables à l’étude d’un instrument, exigées par le conservatoire local, qu’ils ont orienté Hugues vers des cours particuliers avec Denise Chéret, qui a tant compté pour lui. Il paraît qu’elle était la seule pour qui il acceptait de s’habiller correctement ! Jusqu’au bout, il lui a conservé ce respect et cette reconnaissance qui montrent aussi son humilité.
Parallèlement à cette formation classique, puis à ses études de jazz et de musiques improvisées sur lesquelles je reviendrai, il y a eu la création de groupes avec les potes, dont ce fameux Pélican frisé, ensemble de ska teinté de rock, où la section de cuivres est remplacée par des cordes, aux textes ravageurs, et toujours plus ou moins « underground ». Ils ont tout de même duré vingt-cinq ans, et réussi à enregistrer cinq albums ! Au début, Hugues y participait, de façon assez traditionnelle dans ce genre d’aventure musicale, à la guitare. Et puis, il a eu l’idée de s’y mettre au violoncelle.
La curiosité insatiable d’Hugues se retrouvait aussi dans tous ces instruments qu’il a voulu essayer : guitare, basse, banjo, piano, et bien sûr différents dispositifs qu’il adaptait sur son violoncelle. Mais c’est à ce dernier qu’il revenait toujours, in fine. Et ici, il faut citer Tom Cora, un violoncelliste américain mort en 1998 et qui a beaucoup influencé Hugues par tout son travail expérimental et d’improvisation libre. Hugues a d’ailleurs joué avec Luc Klaasen, le bassiste du groupe The Ex avec lequel Tom Cora a fait quelques enregistrements fameux et qui est, de ce fait, une référence pour le violoncelle dans le rock.
Parmi ces Pélicans frisés, il y avait l’altiste Frantz Loriot. Ils ont beaucoup joué tous les deux, notamment dans le duo acoustique Bobun, ou le trio Ganjin (avec la batteuse Yuko Oshima), ou encore avec la compagnie Un instant (dans le cadre du collectif Elixir), où on peut les voir par exemple ici avec son frère Marc.
Le 22 janvier, Frantz nous a offert, seul, une splendide improvisation, avec d’habiles et lancinants sons harmoniques. Puis, juste après, il a pris la parole.

texte de Frantz Loriot :

J’ai rencontré Hugues quand nous étions tous les deux à l’école. J’avais six ans. Lui en avait douze.
Ce que je retiens de ce temps là, c’est son grand sourire, son attention et sa bienveillance qu’il me portait jusqu’au dernier jour où nous nous sommes vus.
Avec Hugues , nous avons parcouru un bon bout de chemin côte à côte.
C’était surtout en musique, à travers les différents groupes dans lesquelles nous jouions, mais aussi dans la vie de tous les jours. Et tout ce temps passé ensemble nous a permis de tisser un lien fort et intime.
Hugues était un grand amis, un grand frère. Et il était aussi un mentor.
Hugues donnait et partageait beaucoup. Il créait des ponts, des rencontres et liait les gens les uns avec les autres. Grâce à lui, comme beaucoup d’entre nous, j’ai pu rencontrer un nombre incroyable de gens différents, en Europe comme au Japon.
Il était aussi un excellent pédagogue et j’ai beaucoup appris à ses côtés. Il partageait volontiers ses connaissances, avec passion. Hugues m’a montré d’autres chemins possibles de jouer et de vivre la musique et cela impliquait aussi d’aborder la vie autrement. Sans lui, je ne serais très certainement pas là ou j’en suis, ni la personne que je suis aujourd’hui.
Apprenant son état de santé il y a quelque mois, je suis venu le voir à Montreuil. Et lors de nos rencontres, il y a une chose que je ne lui ai pas dite. Je le lui avais dit à d’autres occasions et dans d’autres circonstances, mais cette fois-ci, je craignais que ça ne marque une fin. Ce mot c’était MERCI.
Oui, merci mon cher Hugues pour tous ces moments partagés de joie, de rigolade, de discussion, d’échanges, de galères et de peine, d’ivresse, de colère, de tristesse, de bonheur, de musique, d’écoute, de soutien, de friterie, de tolérance, de tous ces voyages que nous avons faits ensemble, en camion, en avion, en train ou à pied, en son, en chuchotant, en chantant, en criant, en dansant…
Lorsque je l’ai vu pour la dernière fois le 21 décembre dernier, je sentais qu’Hugues était confus et je n’étais pas sûr s’il m’avait vraiment reconnu. Au moment de mon départ pour rentrer chez moi et après l’avoir embrassé et alors que je mettais mon manteau pour partir, Hugues m’a interpellé et il m’a dit avec son grand sourire :
« Hey ! salut frangin ! » C’est la dernière chose qu’il m’a dite.
On avait prévu de se revoir mais il est parti sans que je n’aie eu le temps de l’embrasser encore une fois…
Il est parti mais je pense qu’en réalité il s’est démultiplié et qu’il vit à présent en chacun et chacune d’entre nous qui sommes ici aujourd’hui. Il m’a laissé des impressions et des souvenirs profonds et surtout, des moments de vie qui sont des trésors.
Alors merci Hugues ! Merci pour ces cadeaux ! Merci d’avoir été ce grand frangin et d’avoir été ce compagnon unique le long de ce chemin.

Frantz

« T’es relou, Rahan ! »

Avant Le Pélican frisé, il y avait eu Les Putois, un groupe punk dans lequel Hugues jouait de la guitare, et qu’il avait monté avec le guitariste Jean Verguet.
C’est de cette époque que datent les surnoms de toute cette bande de joyeux fêtards, qui faisaient naître leurs projets au bistrot (la musique est toujours meilleure quand elle est née en buvant des coups, non ?). Certains de ces surnoms sont restés, et ont parfois été utilisés sur des pochettes de disques. Hugues était alors en Terminale dans un lycée de Nanterre (l’école Perceval s’arrêtait en Première), et des élèves l’avaient appelé Rahan, ce « fils des âges farouches » de la célèbre bande dessinée (dont, pour ma part, j’étais un inconditionnel, me précipitant dessus dès que je recevais mon très attendu Pif Gadget !).
Marc, le frère qui a été de tellement d’aventures musicales avec Hugues, soit comme altiste, soit comme ingénieur du son (et on sait combien, dans ces musiques où la technique joue un rôle prépondérant, ce poste est primordial), était Polo. Frantz était Krank. Et Jean, Bluechato. Le 22 janvier, il a fait une intervention improvisée, haute en couleurs, dont nous n’avons pas trace, mais dans laquelle revenait, comme un leitmotiv : « T’es relou, Rahan ! »
Il faut dire que si Hugues a toujours été extrêmement moteur, cela n’a pas toujours été sans heurts. Il était tellement entier dans ses projets, tellement convaincu, qu’il pouvait avoir du mal à prendre en compte d’autres points de vue. Il a toujours assumé ses choix, guidés uniquement par ses préoccupations artistiques (ce qui l’a par exemple maintenu dans un niveau de vie plutôt modeste, alors qu’il avait largement les moyens techniques de participer à de lucratives manifestations). Mais il n’était pas toujours le plus diplomate, et cela a pu blesser des gens. Il avait parfois du mal à travailler sur les projets des autres.
Alors, il s’entendait dire : « T’es relou, Rahan ! » En toute affection, bien sûr !

Le Japon, son pays musical d’adoption

Il y est allé la première fois en 2008, pour jouer avec Mori-Shinge Yasumune, un violoncelliste japonais rencontré sur Myspace (en 2013, ils ont fait une séance d’improvisation au studio 106 de la Maison de Radio France ; ce concert a été filmé par France-Musique).
Depuis, il y est retourné au moins une quinzaine de fois. Les perspectives de ces séjours l’ont maintenu, jusqu’aux derniers mois, dans une forme de vitalité salutaire, malgré sa santé déclinante. Il organisait tout seul les tournées, faisant des concerts tous les jours, changeant sans arrêt de lieu, avec des musiciens différents. Là aussi, il ne prenait pas toujours bien que les autres ne s’investissent pas autant.
La découverte de cette nouvelle culture, de nouveaux musiciens, montrent à quel point Hugues était ouvert à bien des formes de musique. Il était très souple, et grâce à son immense expérience d’improvisateur pouvait remarquablement s’adapter.
Pour autant, il préférait jouer dans des groupes où les gens se connaissaient. Le rapport humain restait fondamental. L’improvisation était probablement, pour lui, aussi un moyen d’exprimer ce qu’il ressentait avec ses partenaires. De fait, s’il a joué avec de très nombreux musiciens, une longue fidélité s’est installée avec beaucoup d’entre eux. Hugues vivait beaucoup pour son violoncelle et sa musique. Mais toujours dans le partage.
C’est aussi en 2008 qu’il a rencontré l’accordéoniste Ryotaro Sudo, qui tenait l’Urbanguild, une salle de concerts très connue à Kyoto. S’ils ont assez peu joué ensemble, et en tout cas pas dans un groupe constitué, ils ont noué une très forte amitié. Peu après la disparition d’Hugues, Ryotaro a eu une fille qu’il a appelée Yukimi, « Yu » étant « Hugues » en japonais. Le 22 janvier, Ryotaro est venu à Paris.

texte de Ryotaro Sudo, lu en anglais et ici traduit :

Hé mon frère !
Nous nous sommes rencontrés il y a une quinzaine d’années à Kyoto. Ce soir-là, bien sûr, nous avons beaucoup bu et ensuite nous avons beaucoup joué, et nous avons beaucoup bu ensemble dans de nombreuses villes.
Quand tu venais à Kyoto, tu es toujours resté chez moi. Bien sûr, nous avons beaucoup bu et tu as laissé beaucoup de bouteilles vides.
Combien de fois avons-nous fait Kanpai (l’équivalent de « Tchin » en japonais) ? Je pense plus que des milliers, mais j’avais besoin d’encore plus.
De nombreux Japonais, artistes ou non, et moi aussi, avons appris beaucoup de choses grâce à toi. Eux et moi t’aimons et te respectons.
De nombreux musiciens, danseurs, et plasticiens de Kyoto souhaitaient se produire avec toi. Je voulais te présenter d’autres artistes.
Tu es un grand artiste, et aussi un grand être humain.
Ta vie a été trop courte mais tu as laissé beaucoup de belle musique et tu as également permis à de nombreuses personnes de se connecter dans le monde.
Tu l’as fait. Tu l’as fait !
Tu es mon grand Kyoudai (« frère » en japonais). Tu me manques tellement, frère Kanpai !

Hugues dégageait une force à laquelle, sans doute, certains ont préféré résister, mais qui pouvait aussi vous emmener dans des univers humains et musicaux insoupçonnés. S’il a été très influencé par les musiciens rencontrés au Japon, cela n’a pas été à sens unique. Le trompettiste Yuta Yokoyama, par exemple, était venu en décembre dernier depuis son île de Hokkaid?, tout au Nord du Japon, tout exprès pour voir Hugues.

Kumi Iwase, clarinettiste, saxophoniste, compositrice… et bien plus

Et, bien sûr, il y a eu la rencontre avec Kumi Iwase, qui est devenue son épouse, tant leurs affinités notamment musicales étaient puissantes.
Ils se sont connus à Paris, en 2011, à l’occasion d’un concert d’un groupe d’improvisation japonais dans un bar du XVIIIe arrondissement. Ils ont commencé à jouer ensemble…
Par la suite, ils ont fait plusieurs tournées au Japon, soit en improvisation pure, soit avec des compositions, parfois avec de la danse. Car Kumi est aussi compositrice, et bien sûr, a trouvé en Hugues un interprète privilégié. On trouve plusieurs de leurs enregistrements sur cette page (dont la pièce en cinq parties Planète naine pour violoncelle seul, enregistrée par France-Musique).
Ensemble, ils ont monté le Trio Yasaï. Il y a eu plusieurs batteurs, car Hugues avait vraiment besoin de ressentir un feeling particulier, et il voulait quelqu’un qui donne une puissance et une énergie spéciales. C’est finalement avec Colin Neveux que la formation s’est fixée.

Démos (Dispositif d’Éducation Musicale et Orchestrale à vocation Sociale)

Pendant ses années d’études, Hugues s’est tenu à distance de tout ce qui était trop lisse, cadré. En musicologie, il avait été admis à la Sorbonne, mais il ne tenait pas à se retrouver avec des pianistes qui voulaient faire une carrière classique. Beaucoup plus intéressé par le jazz, il a choisi Saint-Denis. Pour son CAPES, il a demandé à faire des stages ailleurs que dans le XVIe arrondissement. Sa réputation auprès de l’institution était telle que, lorsqu’il a été inspecté, il pouvait s’attendre à être malmené… Il a fait de l’improvisation avec les enfants, sur de la musique de Varèse. L’inspecteur, autant surpris que bluffé, lui a demandé de recommencer devant ses collègues !
Il a commencé à enseigner, en même temps que ses études à l’ÉDIM, mais a finalement rapidement démissionné de l’Éducation Nationale. Il a alors terminé les deux années qu’il lui restait à l’ÉDIM, puis s’est lancé dans la musique improvisée de plus en plus libre.
C’est seulement après, alors qu’il avait déjà passé la trentaine, qu’il a découvert la musique contemporaine.
Hugues n’a jamais vraiment eu d’ambition en musique classique. Était-il un peu complexé par rapport aux musiciens classiques ? C’est en tout cas ce que j’ai ressenti au sein du projet Démos, où je l’ai rencontré. Nous y étions tous deux professeurs, dans le même atelier. Pendant trois ans (avec les parenthèses de la Covid), deux fois par semaine, nous ne sommes retrouvés tous les deux à encadrer une douzaine d’enfants, et à leur apprendre le violon et le violoncelle.
Humainement, nous nous sommes immédiatement trouvés, et nous avons entretenu depuis une puissante complicité affective. Professionnellement, nous étions très différents, parfois complémentaires, et parfois… ce n’était pas toujours très simple. Quand je proposais quelque chose qui ne lui parlait pas, il ne faisait pas semblant d’adhérer. Cela a pu, par moments, me mettre mal à l’aise. Mais il avait une qualité admirable : son plaisir à faire de la musique avec les enfants, jusqu’à en oublier qu’il était là en tant que pédagogue ! Pour moi, c’était assez étrange. Et je crois qu’une partie de moi enviait cette faculté.
Ce que nous partagions sans réserve, c’était la dimension sociale de ce projet. Il faut dire qu’il avait de qui tenir : sa mère dirigeait une maison pour enfants en difficulté familiale, et son père était éducateur spécialisé.
Lors des rassemblements d’orchestre, qui réunissaient plusieurs ateliers, Hugues était toujours enthousiaste, chaleureux, de bonne humeur… Il faisait vraiment partie de ceux qui instillaient un état d’esprit absolument propice à ce que nous voulions transmettre aux enfants. Démos, c’est un peu une grande famille.
Lors de la cérémonie du 22 janvier, Marianne Entat, violoniste, qui a toujours été dans les mêmes orchestres Démos qu’Hugues, a fait une très belle intervention, non écrite, et que nous n’avons donc pas.
Cette cérémonie s’est terminée par plusieurs morceaux, joués par huit de ses collègues de Démos, placés autour du cercueil. Cela a été un moment extrêmement poignant.
Juste avant cela, il y avait eu quelques mots particulièrement évocateurs, de l’un des plus proches amis d’Hugues, qui venait le voir toutes les semaines dans les derniers mois mais qui n’a pas pu venir ce jour-là.

texte de Jacques Pochat lu par Éric Deshayes

Hugues, c’est une grande masse qui t’étreint avec un large sourire désarmant.
Hugues, c’est deux grands bras qui enlacent son violoncelle en un acte d’amour et de passion rivée au corps.
Hugues, c’est le musicien âpre à la tâche, infatigable à rabâcher les gammes, les traits et les coups d’archet.
Et Hugues, c’est aussi l’ami fidèle qu’on ne remerciera jamais assez de nous avoir fait découvrir, à Marie et moi, le Japon lors d’une randonnée musicale inoubliable.
Sayonara todomachi (« Au revoir mon ami » en japonais)

Et puis, les absents du 22 janvier…

L’un des derniers projets d’Hugues a été le trio Wooonta, basé à Taïwan, avec Luo Changqin, dit « T.S.LO », au erhu (instrument typiquement chinois, sorte de violon à deux cordes) et Ryohei Kanemitsu, dit « YO », au sitar (sorte de luth à manche long typique de la musique hindoustanie).
Leur premier CD (Wooontaful) a obtenu le Golden Award de la musique transfrontalière (ce qu’Hugues ne disait pas…). C’est un Prix très prestigieux, et qui leur a permis de financer leur deuxième CD.
Ils ont joué à Lucerne (au Festival de Musique de rue, plus populaire que le très médiatisé Festival de musique classique), à Édimbourg, participé à des émissions de télévision à Taïwan…
C’est avec eux qu’Hugues a donné ses derniers concerts.

message de Wooonta :

Nous sommes très reconnaissants d’avoir réussi à réaliser de nombreux spectacles agréables en septembre, laissant ainsi de merveilleux souvenirs en guise de conclusion.
J’ai été choqué d’apprendre une si triste nouvelle. Hugues restera à jamais gravé dans nos cœurs. J’espère qu’il pourra reposer en paix au paradis et continuer à faire de la musique encore plus belle.

Et puis, il faudrait citer (dans le désordre) :
– Pascal Maupeu, guitariste, son meilleur pote, avec lequel il a eu des rapports très importants dans la musique improvisée, mais aussi monté le groupe Tilbol, qui pendant au moins dix ans a joué de la musique relativement écrite, en compagnie de plusieurs batteurs, et tout particulièrement de Colin Neveux.
– Vincent Laubeuf, avec lequel il a travaillé la musique électronique, amplifiée, avec effets.
– Joëlle Léandre, qui a joué en son hommage le 28 janvier dernier.
– Didier Petit, de qui il était proche.
– Vincent Courtois, qui raconte ses rencontres avec Hugues dans un superbe article du N° 85 de la revue de l’AFV.
Le temps m’a manqué pour en dire plus sur toutes ces rencontres. Ce sera peut-être pour une prochaine version…
À la suite de la parution de l’article dans la revue « Le Violoncelle », j’ai reçu les quelques lignes qui suivent.

message d’Agnès Vesterman :

C’était rue de l’abbé Grégoire, à Paris, dans les années 2000, nous nous retrouvions Hugues et moi de temps en temps autour d’un thé pour un échange entre violoncellistes passionnés. Moi j’étais la « classique » qui commençait à improviser, émerveillée par sa technique virtuose de pizzicati style contrebasse jazz, les doigts de sa main gauche, grande, puissante , infatigable faisant sonner vigoureusement les walking bass des morceaux de jazz , jouant avec son vibrato de toutes les manières, s’engouffrant sans inhibition dans des expériences sonores hardies. Puis il me jouait du Bach, et nous parlions style, phrasé, articulations, approche sonore. Hugues était un grand improvisateur, généreux, prêt à se nourrir de toutes choses musicales, d’une grande modestie aussi, et dans ses yeux toujours brillait l’étincelle de la gentillesse. Bon voyage, Hugues, tu restes dans nos cœurs !

Post-scriptum

Cet article doit beaucoup aux témoignages des plus proches parents d’Hugues, que j’ai beaucoup sollicités : Kumi, Ursula et Marc.
Pour autant, il est très incomplet. Hugues a eu une telle activité musicale qu’il est difficile de s’y retrouver. Avec une exigence folle, jamais satisfaite (mais qui ne l’a jamais non plus rendu aigri), il avait un côté fonceur, boulimique, que seule la maladie, ces huit dernières années, et surtout depuis une récente récidive, a quelque peu freiné. Mais si une de ses qualités n’a jamais faibli, c’est sa générosité, dont il avait si souvent fait preuve dans sa pratique musicale, et qu’il a continué de montrer par son attention aux autres.
Ses centres d’intérêt musicaux avaient d’ailleurs évolué. D’un côté ses problèmes de mémoire l’incitaient à être plus à l’aise, en improvisation, quand les choses n’avaient pas été trop établies. D’un autre côté, il était de moins en moins attiré par l’improvisation pure ; il avait de plus en plus soif de pratiquer, de travailler, de se mettre des contraintes. De ce point de vue, il a très bien vécu les confinements.
Dans cet article, il manque notamment toute la discographie d’Hugues, qui a réalisé plusieurs dizaines d’enregistrements. Et puis, il aurait fallu aussi parler des émissions de radio qui lui ont été consacrées. Cela viendra peut-être.
Mais nous tenions à le publier en ce 29 avril. Hugues aurait eu cinquante ans aujourd’hui.

Pierre Carrive

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